Flemme, lessive.[RP Libre !]

A ses yeux, pas besoin d'autre chose qu'un vieux jogging et un t-shirt à manches longues pour marcher trois minutes un matin de septembre. Alors Ilo ne se change pas, il empoigne les monticules de tissus éparpillés partout. Il sort de sa petite chambre - dans laquelle il a quand même réussi à installer un lit double, car il aime avoir de grandes surfaces où s'affaler. Son cabas Walmart est déchiré en bas, mais pas assez pour que les vêtements tombent. Il passe quand même se brosser les dents une trentaine de secondes, capte son image dans le miroir et salue Jean et Michel, ses cernes droites et gauches. Il a beaucoup traîné avec elles ces derniers jours, depuis... depuis quand ? Depuis les insomnies et la neurasthénie, depuis qu'il a un vague à l'âme, mais il ne saurait dire plus précisément. Sandy, son familier, saute sur son épaule juste avant qu'il sorte de son appartement.
  Ilo claque sa porte, puis touche sa poche pour confirmer au son des clés qui tintent qu'il n'est pas enfermé dehors. Il n'est même pas en Crocs, ses pieds sont dans une paire de chaussures informes qui sont une imitation de Crocs, qu'on donnait gratuitement dans une friperie de campagne. Ses écouteurs passent du rock indépendant avec un volume élevé, si bien qu'Ilo ne se rend pas compte du vacarme de bois grinçant et de talons claquants qu'il fait en descendant trois étages. Il sort dans la rue, claque la porte de l'immeuble, retouche ses clés, mais ça ne sert à rien puisqu'il a mis ses écouteurs et qu'il n'entend plus le tintement. Il touche aussi l'espèce de cellule, gelule, machin de lessive en plastique dans son autre poche. Ilo marche pendant trois minutes, il n'a rien à raconter. À un moment, il pousse un soupir sincère. Il a mis sa playlist nommée "Fed Up".

  Il arrive à la laverie, jette ses fringues dans une machine à sa hauteur. Il pousse un autre soupir, plus bref. Ouah, peut-être que je m'ennuie vraiment dans ma vie, il se dit. Finalement, il reste cinq bonnes minutes à regarder le fond de la machine sans en fermer la porte ni aller payer pour lancer le lavage. Il philosophe, il réfléchit, il écoute la musique, il se le permet parce qu'il est seul. Au bout d'un moment, il se met à regarder le mur au-dessus de la machine sur lequel il y a le logo de la laverie et les tarfis. Puis le plafond jaunâtre, comme les murs de son école primaire. Est-ce que le plafond est jaunâtre à cause de la peinture ou de la lumière de l'ampoule ? Est-ce que ce plafond était moche de base, ou est-ce l'influence de cette source de lumière, qui n'a pas lieu d'exister puisqu'on est en plein jour, qui le rend moche ? Ilo fait un pas sur le côté et appuye sur l'interrupteur pour éteindre la lampe. Le plafond est blanc. Mmh. Il ne sait pas s'il y a une conclusion philosophique à en tirer, quoi qu'il en soit il ne la tirera pas.
  Il se retourne, Sandy est en train de dormir sur le banc juste derrière lui. Ilo s'approche, s'accroupit, et regarde son écureuil avec tendresse.

Après quelques minutes de contemplation de son familier, Ilo s'est relevé et a enfin activé sa machine à laver. C'est à ce moment qu'une femme très particulière est entrée. Au premier coup d’œil, Ilo s'est dit que c'est comme si elle portait toute son histoire sur elle. Elle n'était vraiment pas banale. Un visage marqué, obstiné, des tâches de rousseur mais des cheveux mi-longs noirs de jais, des yeux bleus clairs, des cicatrices dépassant de ses vêtements plutôt punks. Des membres plutôt musclés, un bras tendu vers l'hôtesse d'accueil, qui se termine en un majeur levé. Elle continue à fumer, lance sa machine à côté d'Ilo. Celui-ci n'a d'ailleurs pas jeté un regard à la dame de l'accueil, et n'a aucune idée de la raison de l'affront désinvolte de cette inconnue. Il ne bouge pas, il se rend compte qu'il fixe quelqu'un et que ce n'est pas très poli, mais il remarque aussi que ce quelqu'un n'en a rien à fiche de sa présence, donc il continue. A côté de cet être spécial, unique, particulier, qui semble si intéressant, il se sent stupide. Il jette un coup d’œil vers le bas, vers son jogging et ses fausses crocs et s'ébouriffe brièvement les cheveux, comme pour vérifier qu'il est bien simplet, mal habillé, qu'il est bien un type normal avec des cheveux en bataille et un corps un peu maigrichon. Il reconnait cette sensation, et s'en veut de la ressentir : il se sent comme le lycéen qu'il était, quand il se trouvait en face des gens qui étaient cools. Ilo a toujours regardé les groupes de punks, hippies et artistes avec intérêt, sans pour autant trouver le courage de parler à ces personnes, qui avaient l'air intéressantes, créatives, drôles, poétiques. En même temps, il se disait toujours que ça ne correspondait pas à son caractère, et que même s'il était intrigué par ces gens, il ne se sentirait pas à sa place parmi eux. Souvent, les réflexions qu'il avait sur sa place dans la société, dans sa génération, de quelle catégorie il faisait partie, se finissaient par "ouais, c'est super compliqué, et j'en sais rien". Et après, il se rappelait qu'il était un sorcier, et qu'à l'échelle du monde, il n'était probablement pas banal du tout.

La fumeuse tire une taffe et part s'asseoir, sauf qu'Ilo est trop muré dans le silence et dans l'embarras pour réagir à temps et la prévenir qu'elle s'apprête à s'asseoir sur Sandy. Elle pousse un juron, se relève juste avant d'écraser l'animal, et demande à Ilo d'un air désintéressé si "ça le dérange", en fumant sa cigarette.
Intimidé, Ilo ne sait pas bien de si elle parle du fait qu'elle fume, ou qu'elle a failli écraser son écureuil. D'ailleurs, celle-ci a couiné, et s'est empressée de sauter sur la manche de son sorcier puis de l'escalader jusqu'à se nicher dans sa nuque. Ilo lève un sourcil exaspéré : il adore son familier, mais sa paresse et sa lâcheté en font un être plutôt chétif face à n'importe quel danger, et inutile en société. Boh, après tout, qui se ressemble s'assemble, se dit Ilo, avant de se rendre compte que c'est une pensée bien dégradante et pessimiste, et de se reprendre. Quand il entretient des conversations avec son animal, seul dans son appartement, il la traite souvent de pleutre, pour rire, et il rigole tout seul.

"Euh... non, non."

Bon début, Ilo, je suppose. Il s’assoit ensuite sur le banc, en tailleur, et caresse l'animal dans sa nuque, du bout du doigt. Il est encore intimidé, il ne sait pas s'il doit continuer la conversation ou ne rien dire. En réalité, il sait très bien ce qu'il devrait faire, il est un jeune adulte après tout ! Il devrait lui dire de faire plus attention à l'endroit où elle pose ses fesses, et... ouais, non. Sandy va bien, il n'y a pas de quoi en faire un fromage. Ilo n'a pas envie de devenir un adulte chiant. Mais le regard de cette personne sur lui, ça l'angoisse, et son attitude désabusée, ça l'angoisse aussi. Il se sent comme s'il avait fait quelque chose d'extrêmement ennuyeux et lourd, mais il sait que ce n'est pas vraiment la faute de cette femme. Elle passe sûrement une mauvaise journée, elle a le droit de ne pas faire attention à tout ce qu'elle fait, elle a le droit de ne pas être d'humeur à sourire. Ilo le sait, il a tendance à se torturer l'esprit de situations sociales complexes, à angoisser pour rien, à se rabaisser au moindre bonjour.
Dans son dos, la caissière mastique nerveusement un chewing-gum. Or Ilo est TRES sensible au bruit, et ce bruit l'énerve. Sa mélancolie de ce matin, ces chaussures qu'il déteste, cette rencontre, Sandy qui griffe gentiment son cuir chevelu, et ce bruit, c'est trop. Quelque chose ne va pas chez Ilo, là maintenant, et pourtant cela ne vient probablement pas de la situation mais de quelque chose de plus vieux et plus profond. En tout cas, il ne sait pas pourquoi il est frustré, angoissé, mélancolique, ça l'énerve, ça le frustre, ça l'angoisse, ça le rend mélancolique... et pouf, il éclate. Il se vaporise dans l'air pendant environ quatre, cinq secondes. Il n'a pas fait de crise de panique, il n'a pas éclaté en fumée involontairement. Il a juste senti que c'était trop, et avant qu'il ait vraiment eu le temps de réfléchir aux conséquences de son acte, il a directement pensé au moyen le plus simple qu'il avait de se calmer. Il s'est vaporisé. Et maintenant ça va mieux.
La preuve, il est moins intimidé par le regard étonné de la femme qui est entrée. Il hésite à jouer la carte du "bah quoi ?" mais c'est vrai que ce serait un peu trop évident - et puis la caissière est témoin elle aussi. Alors il joue la carte de tourner la tête dans la direction opposée, d'un air qui se voulait rêveur mais avec un regard beaucoup trop concentré. Et il se met à fixer le mur.

L'écureuil remonte sur l'épaule d'Ilo après sa vaporisation, et lui communique des sentiments d'amitié et de soutien. Ilo lui communique en retour sa reconnaissance, toujours tourné vers le mur pour éviter le regard de l'inconnue. Sandy est toujours là pour son sorcier, elle comprend son angoisse, et il est heureux d'avoir ce compagnon à ses côtés.
Et là, il se rend compte qu'il y a une employée derrière lui. Et qu'elle n'aurait probablement pas dû voir ça...

"Hey ! T'as pas genre une pause à prendre ou un truc du genre plutôt que d'nous fixer comme ça ?"

Ilo se tourne enfin vers la fumeuse, qui tire une taffe en sa direction en faisant fuir la caissière. Elle a l'intention de me couvrir, comprend-il, étrangement touché par ce geste. Il entend un bruit de pas de quelqu'un qui quitte une pièce derrière lui, mais ne se retourne pas pour regarder la caissière s'en aller. La jeune femme s’assoit à côté de lui pendant qu'il la fixe toujours - sans se rendre compte qu'il est un peu gênant, mais en même temps son interlocutrice n'y fait pas trop attention. Ilo réalise qu'il aurait dû mieux contrôler son évaporation, et se maudit intérieurement de n'avoir pas réfléchi.

"... Alors, ça t'arrive souvent de disparaître dans l'air comme ça ?"

Son interlocutrice a pris une pose cool avec ses bras appuyés sur ses jambes. Ilo ne sait pas quoi répondre, il se gratte la nuque et en profite pour grattouiller son familier. Je suppose que ça lui arrive souvent, mais en général c'est fait exprès. Bien que là, ça n'était pas un accident non plus - disons qu'il ne l'a pas provoqué, mais que lorsqu'il l'a senti venir, il ne l'a pas refréné. Ce qu'il aurait dû faire, mais il ne s'en est rendu compte que trop tard. Enfin tant pis, se dit-il, il a retenu la leçon et on lui ai sauvé les miches. Ilo bredouille pas très fort :

"Ou-ouais, je suppose... d'ailleurs merci de-"

Un homme entre : un papa exténué, dirait Ilo au premier coup d’œil. Il n'est pas particulièrement perspicace pour autant, il a simplement vu l'enfant dans le porte bébé et le sac de lessive d'où s'échappe une petite odeur d'urine. L'inconnu regarde successivement Sandy puis les deux humanoïdes, puis soupire longuement. Ilo hausse un sourcil, ce qui lui arrive rarement, mais il est très intrigué.

"Gamin… Bordel… qu’est-ce que t’as foutu pour qu’elle te demande ça ? Vous n’avez pas tué la personne qui s’occupe d’ici tout de même ? Non, parce que j’ai vraiment besoin de laver mon linge."

Voilà qu'il se fait sermonner ! Cet homme devait être un sorcier, et devait avoir compris la situation en voyant le familier. Mais Ilo n'arrive pas à prendre la scène très sérieusement, probablement à cause du bébé qui s'est mis à faire des bruits de bouche. Ses commissures remontent un peu, cette situation est assez burlesque. En temps normal, il serait sûrement plus gêné, mais il vient juste de se vaporiser et il ressent encore quelques effets apaisants que ça a sur son mental. C'est d'ailleurs aussi pour ça qu'il ne se préoccupe pas trop d'avoir utilisé sa magie devant une humaine.

"Il y a une machine pour payer par carte bancaire, ça ne nécessite pas d'employé... Si vous n'avez que de la monnaie, je vous paie votre lessive."

Ilo indique la machine à l'homme d'un geste amical avant de se rappeler qu'il n'avait pas répondu à la principale remarque qui lui a été faite :

"Euh, l'employé est vivante. Et grâce à..."

Mince, il ne connaissait pas le nom de celle qui l'avait aidé.

"... toi, finit-il en la regardant, tout va bien. Merci à toi, au fait."

Ilo gratte son écureuil et sa nuque à nouveau, et prend conscience qu'il le fait souvent, alors il arrête. Quand au père, il a vraiment l'air de passer une journée compliquée.

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