CARACTERE
Le problème, avec l’amour, c’est qu’il vous tombe dessus quand vous ne vous y attendez pas. Je n’y étais pas préparé – tout comme je n’étais pas préparé à la fin, eheh, mais qui le serait ? – et bien évidemment, quand il a débarqué dans ma vie en défonçant la porte, il n’a pas pris soin de ranger derrière lui avant de se tirer avec ses clics et ses clacs, et Calvin (le chat). Au début, à l’image d’une rose sur le point de naître, notre relation était fragile et méritait qu’on la traite avec douceur. Cela n’a jamais représenté un défi pour moi, de nature ouverte et franche, je prends néanmoins garde à mon entourage et l’effet qu’ont mes paroles. Je n’ai rien d’une brute guidée par ses instincts les plus primaires et primitifs, au contraire, je suis le genre de personne qui a souvent de petites attentions envers ses proches. Il m’est déjà arrivé de laisser un chemin de pétales d’un rouge si sombre qu’ils en paraissaient mouillés et qui menait jusqu’à notre chambre, là où de nombreuses bougies parfumaient déjà la pièce, et où je l’attendais, apprêté de la tête aux pieds, un sourire étirant mes lèvres d’un bout à l’autre.
Sans aller dans l’excès – je suis mesuré, à défaut d’avoir du tact – je n’ai pas l’impression d’avoir commis tant d’erreurs que cela au cours de nos deux années d’histoire. Histoire avec un petit h, achevée dans la fange et les larmes, alors que je voulais l’emmener au ciel et dans les étoiles. La déception est encore amère, et bien que je sois du genre à rationaliser les événements du quotidien, mes pensées prennent le pas sur mon cerveau, qui me hurle qu’il faut laisser le temps au temps, et que bientôt, cette peine disparaîtrait aussi vite que Lénora. Lénora. Ce prénom m’a fasciné depuis l’instant où je l’ai rencontrée mais à présent, il me fait l’effet d’un poignard, létal et vicieux. Au lieu de m’achever par pitié ou compassion, les deux m’iraient, il s’est enfoncé dans ma chair et m’a transpercé sans viser d’organe vital, si bien que je suis condamné à agoniser lentement. Vous pensez sans doute que j’exagère, mais jamais je n’avais ressenti un chagrin similaire, si lourd et intense qu’il donne l’impression d’avoir la tête coincé dans un étau, ou plongée dans des eaux profondes. Peut-être que si je n’étais pas si entier, j’aurais pu m’en tirer avec quelques jours de mouchage de nez, voire une semaine, mais telle une bête prise au piège, je finissais par gratter et ronger mes propres plaies, à force de ne pas trouver d’échappatoire.
Et j’en ai finalement trouvé une, en la charmante personne de ma petite sœur, Kayla. Une adorable gamine d’une vingtaine d’années qui avait tendu la main à son grand frère trop curieux – Comment il s’appelle ? Qui c’est, elle, et tu la connais d’où ? Tu vas chez qui ? Bref, vous voyez le genre, – et ce malgré ses études en parallèle de son travail. Elle représentait l’inestimable à mes yeux, une perle que je chérissais mais que je ne pouvais m’empêcher d’ennuyer du matin au soir, avec toute l’affection d’un frère plus âgé. Elle vivait à Revelstoke depuis sa majorité déjà, dans un petit appartement joliment décoré et qui sentait bon la vanille, et je m’autodétruisais chez elle depuis l’avortement de mon mariage, si bien que je connaissais petit à petit à prendre mes marques dans le coin. J’ai toujours été extrêmement observateur, et je n’ai parlé que très tard – je ne sais pas si cela a un rapport ? – et j’ai continuellement une oreille ou un œil qui traîne aux alentours. Ma mère me surnommait le Renard, ma sœur, le Cafard, ce qui était moins glamour, mais je lui pardonnais aisément ses boutades, surtout quand elle m’hébergeait gratuitement et sans plainte, malgré mon comportement de larve en décomposition. Dans tous les cas, c’est mon naturel inquisiteur qui m’a permis durant mon adolescence d’engloutir de nombreux ouvrages épais comme mon poing, tous relatés de près ou de loin aux plantes. Le monde végétal m’a toujours attiré, depuis mes cinq ans où je passais avec mon père la journée dans notre serre et où mon bébé de sœur gazouillait sans comprendre ce qui l’entourait, jusqu’aux prémices de mon mariage où j’envisageais d’ouvrir une herboristerie en compagnie de Lénora. Aussi, quand Kayla est arrivé un jeudi ordinaire en début d’après-midi et m’a tiré tant bien que mal du canapé dans lequel je pourrissais, je l’ai suivi en traînant des pieds tout en ne sachant pas à quoi m’attendre.
Elle m’a promené dans une grande partie de ma ville et, à mon grand désarroi, l’air frais m’a fait un bien fou. J’ai laissé le soleil réchauffer mon épiderme, tout en souhaitant silencieusement qu’il puisse réchauffer mon cœur et mon âme par la même occasion, et n’ai pas moufté quand elle m’a pratiquement jeté dans une boutique. Une herboristerie. Si j’avais pu, j’aurais fait demi-tour, mais elle m’a bloqué la route d’un regard significatif et de ses cinquante kilos d'obstination. Quarante minutes plus tard, et environ trois-cent deux questions après, je suis rentré chez ma sœur en sa compagnie dans un silence pesant. Certes, grâce à nos parents, je disposais des fonds nécessaires pour co-racheter l’herboristerie, mais je ne voulais pas nécessairement utiliser tout mon pécule de côté aussi tôt dans ma vie. Et surtout, est-ce que j’arriverais à accomplir cela… sans elle ? Il m’a fallu peser le pour et le contre, faire des listes – une autre manie, insupportable d’après ma sœur – et retourner toutes les possibilités dans ma tête. Mon esprit me semblait brumeux, à force de cogiter, mais deux semaines plus tard, les papiers étaient signés, mon compte vidé, et mon cœur étrangement apaisé. Un nouveau départ, un nouvel emploi, une nouvelle place. Je suis quelqu’un d’actif, et malgré ma récente léthargie, l’herboristerie me mena d’elle-même au coeur du coven de Revelstoke, pour lequel j’ai pris l’une des places de botaniste.
Cela fait désormais six mois que mon mariage a été annulé, quatre depuis que je suis arrivé en ville, et un depuis mon co-rachat de l’herboristerie. Il y a une semaine, j’ai intégré le coven, et aujourd’hui, j’essaie de me remettre sur les rails d’un train que je n’ai jamais voulu quitter.
PHYSIQUE
L’apparence est de moindre importance en comparaison des merveilles que peut receler les méandres de l’âme d’une personne. Ne jamais se fier à une impression physique, mais davantage à ses ressentis.
Je ne sais pas ce que l’on éprouve en me regardant, mais je sais que je ne suis pas très fier de ma taille. Atteignant tout juste le mètre soixante-seize, je suis pile dans la moyenne des hommes et la plupart me dépassent sans trop de difficulté. Parfois, avoir à sans cesse lever mes yeux bruns me hérisse légèrement, mais je prends sur moi puisqu’après tout, que puis-je y faire ? Ma silhouette est assez mince – sans être menue ou frêle non plus – et de légers muscles se dessinent sur mon torse, vestiges du peu d’exercice réalisé avant mon mariage, dans l’optique d’avoir un corps de rêve à présenter à ma dulcinée – qui s’est avérée ne pas l’être du tout, au passage. Ma chevelure d’un noir de jais reste rarement sagement domptée sur ma tête, mes mèches préférant se disputer une place au sommet de mon crâne. Je les laisse naturels, sans gel ni laque, et ils encadrent les traits fins de mon visage et mon nez légèrement en trompette. Quand j’étais adolescent, j’avais une apparence androgyne qui s’est amoindrie avec l’âge, mais je n’ai rien du mâle alpha dans toute sa gloire, de cela, j’en suis conscient. Sans être extraordinaire, j’ai déjà fait tourner quelques têtes – sans compter Lénora – mais je n’ai jamais cherché à faire de mon corps une arme de guerre, ou de conquête. J’ai trop de respect pour l’image romantique que peut revêtir une relation pour me focaliser seulement sur l’aspect charnel de la chose, le spirituel passe avant tout. Mon teint, bien plus clair depuis mon séjour dans la chambre d’amis de ma sœur, ne s’assombrira pas beaucoup plus dans les semaines qui vont suivre, j’ai toujours eu un teint plus ou moins pâle, pour mon plus grand malheur. Sans avoir une peau de rousse, on me penserait plutôt venir d’un pays venteux et froid en lieu et place du Texas, mais non. La génétique est parfois étrange, on ne le répétera jamais assez.
Me vêtir n’a rien d’un jeu d’enfant, mes goûts sont précis et arrêtés et je rechigne à mettre ce que je n’aime pas, tout comme je mange très peu ce que je n’apprécie pas. J’oscille entre un style plutôt simple, mais jamais négligé, polo, chemise, parfois t-shirt, et pantalon de bonne couture, ou occasionnellement un jean. Kayla s’est toujours moquée de moi pour cela, à partir du moment où, pendant mon adolescence, elle est entrée dans la salle de bain alors que je ne l’avais pas verrouillée. J’étalais de la crème pour le corps sur mes bras et mon torse, une crème odeur cannelle, et cette habitude de toujours chercher à sentir bon nous aura valu de nombreuses disputes, quand j’étais plus sensible sur le sujet. Je me considère comme coquet, sans non plus en faire des tonnes.
HISTOIRE
Une famille ordinaire, une vie ordinaire. Rien d’extravagant dans mon enfance ou mon adolescence, j’étais heureux avec Kayla, petite sœur souriante et épanouie, et mes parents nous encadraient et nous aimaient de leur mieux. Le Texas, malheureusement, n’a jamais été mon état préféré, et je n’avais qu’une envie en grandissant, m’en extraire le plus rapidement possible. La mentalité renfermée et étroite me dérangeait, et je savais depuis petit que je n’y passerais pas ma vie adulte. Le temps y est chaud pendant l’été, et de manière générale, en fait, si bien que le Canada me paraît aussi glacial que la Russie, que j’imagine continuellement à -50 degrés. Mon père travaillait dans notre serre durant la journée tandis que ma mère disparaissait des heures durant pour s’occuper de ses patients.
C’est surtout lui qui nous a élevés, ma sœur et moi, et nous avons toujours eu une proximité particulière, plus tangible que celle qui animent normalement un père et son fils. Nos parents, tous deux sorciers, nous ont appris très tôt à grandir dans cet univers double et caché qui allait devenir notre quotidien, une fois grands. Je me souviens des jours entiers où je paraissais aux côtés de mon père, gambadant entre les pots et les outils, entourés d’une végétation si dense que je n’imaginais pas vivre dans une ville entièrement bétonnée, privée de verdure et de ses bénéfices. C’est là qu’est née ma passion pour les plantes, et ma future vocation, quand bien même je n’en avais alors aucune idée. J’étais innocent, la tête remplie de jeux et de bêtises à faire avec – ou contre – Kayla.
Elles sont magnifiques et pleines de vie, et détiennent en leur sein les clés de notre salut. Nous ne pourrions coexister dans un monde privé de végétation si bien qu’en prendre soin devrait représenter un devoir pour tout un chacun.
Il n’existe aucun coven là où nous résidions, si bien qu’en plus d’une scolarité ordinaire, notre père nous enseignait les us et coutumes de nos semblables. Ma sœur envisageait déjà de rejoindre l’une de ces organisations alors qu’il m’aura fallu vivre la déchéance la plus totale pour me tourner vers les miens. Bien sûr, j’ai pactisé lors de ma seizième année, comme chaque membre de ma famille jusqu’alors, après avoir été choisi par Nedha, mon familier, un corbeau femelle d’une discrétion sans égale. Je n’imagine pas mon quotidien sans elle, cela fait à présent dix ans que nous sommes ensemble, et même si mon implication dans le milieu sorcier est tout récent, je sais que je peux compter sur son soutien. Pauvres hoomans, condamnés à vivre en solitaires entourés ; je les plains, le plus clair du temps.
C’est à mes vingt-quatre ans que se révéla mon pouvoir, mon don, et son utilité ne fit aucun doute dans mon esprit. Une altercation à la sortie d’un pub dégénéra, et n’ayant guère l’habitude de me battre, je me suis vite retrouvé en situation de danger imminent. J’ai pris la raclé de ma vie et suis rentré en boitillant dans le bar, le sang maculant le haut de ma chemise bleue et coulant de mon nez. Une jeune femme s’est précipitée vers moi et c’est ainsi que j’ai rencontré Lénora, mon ex-future-fiancée. Une fois dans la maison de mes parents, je me suis étalé sur le divan tout en ressassant ma rencontre – mes deux rencontres – de la soirée. Et, sans que je n’y comprenne quoique ce soit, mes bleus et mes égratignures commencèrent à rétrécir, avant de disparaître. J’ai dû attendre une semaine avant de pouvoir soigner la vilaine bosse sur mon arrête nasale, incapable de répéter le processus plus tôt. Entre Lénora et mon pouvoir, la nuit avait été mouvementée.
Aujourd’hui, je suis prêt à repartir de zéro, enfin presque puisque Kayla est avec moi.