Mission : sauver la planète des méchants mégots [pv. Aristole]

T’aurais sans doute suivre ta sœur quelque part ou trouver de quoi t’occuper, quelqu’un pour t’occuper. Mais tu ne connaissais pas encore les bonnes personnes ici et tu n’avais d’ailleurs jamais connu personne de bon de toute ta naissance. Les choses changeaient, un peu, pas assez vite. Et toi, Aristole, tu restais là, planté dans les rues que tu ne connaissais même pas. Toi, un bouquin à la main, récupéré sur le chemin – comme si tu pouvais t’améliorer aussi vite que tu le voulais pour comprendre, oui, encore, toi, arrêté là. Tu avais seulement décidé de trainer, le temps de t’y faire. Pour une fois, tu n’avais pas séché – et tu n’avais d’ailleurs l’intention de le faire, trop. Tu avais du temps libre, le club bien trop loin dans ta pensée. Alors tu avais flâné, tu avais arpenté les ruelles proches de la maison « familiale ». Lorsque tu en avais eu assez ou encore lorsque tes pensées n’avaient pas été occupées, tu avais laissé ton briquet venir à ta main. Entre écrit et tabac glissant à tes lèvres, doucement la fumée s’élève. Tu avais sans doute continué, un peu, te demandant si tu pourrais trouver un coin ou lire ou simplement une bande à retrouver, encore, les poings serrés, le sang séché sur les phalanges. Il ne t’avait fallu qu’une fraction de seconde, sans arrière-pensée, sans dernier mot pour abandonner du bout des doigts le mégot allumé là. Et sans doute, tu ne t’étais pas attendu à te faire arrêter : cela faisait longtemps que tu n’avais pas entendu un discours similaire à celui déroulant dans ton cerveau – tentant de faire la traduction rapidement -. On le faisait derrière ton dos où on ne disait rien, yeux dans les yeux, frisons dans le dos, chair de poule laissée sur le bitume. Tu avais juste pris le temps de détailler l’inconnu courant à ta rencontre. Tu aurais aimé le voir se jeter à tes pieds pour récupérer les malheurs jetés sur les pavés.

« Vous êtes pas censé avoir une feuille, un stylo et un genre de questionnaire à remplir ? »

Tu avais eu l’habitude de te faire arrêter par des écologistes à l’entrée des gares, ici et là, toujours pour te parler d’un truc en lequel tu ne croyais pas plus que ça. Ou bien que tu ne laissais pas transpirer dans ce genre de geste. Tu écrasas seulement le démon du bout de ta chaussure pour l’éteindre réellement : feu de ville, scout en colère. L’accent goutte dans tes mots laissés là tandis que tu te baisses pour récupérer le sujet de la discutions. Et t’as l’air con, un mégot à la main. T’essuies doucement dans tes doigts libres dans ton hoodie, simple gestuelle, simple habitude. Il a la tête de l’emploi et tu demandes s’il est là pour venir te parler de sa religion, mère nature peinte sur les triptyques, ô quelle belle église cela serait.

« C’est quoi, la suite du discours ? »

Il n’y a pas vraiment d’ironie dans la phrase. Tu te demandes seulement s’il va te demander de choisir la bonne poubelle ou encore te raconter la seule composition du poison que tu inhales d’un si grand âge. Tu restes là, planté dans les yeux dans les prunelles du porte-parole – plus vieux que toi, plus posé, la douceur s’affale sur ses joues. Tu as envie de t’allumer une deuxième cigarette. Tu te demandes s’il te frapperait pour ça, mais tu n’as de toute manière pas de main disponible.

Tu t’exécutes comme si la chose te brûlait les doigts. Tu te dis qu’il fera l’affaire, que ça passerait le temps. Et tu as sans doute toujours aimé les gens passionnés. Toi, tu n’as rien qui fait bouger tes muscles par amour et ça pourrait t’impressionner. Tu ne comprends pas pour autant. Tu as sans doute l’impression qu’il s’agite pour une chose perdue d’avance et tu demandes toujours si tu devrais lui dire. La terre sautera quelques années après son beau discours. Tu ravales la pensée passante sur le bout de tes lèvres. Alors, oui, tu suis les ordres : d’accord mon capitaine, à vos ordres mon capitaine. Tu es sans doute trop perdue entre le fait de devoir lui cracher que tu n’en as normalement rien à cirer ou comprendre la pensée de l’individu devant toi. La vérité, c’est que tu aimerais peut-être qu’il te fasse changer d’avis.

« T’es un genre de mafieux sans les mains armées, ha. »

De toute manière, tu n’as pas les mots, pas le vocabulaire. Alors tu ne peux que te contenter de feindre une idiotie ou un vague manque de compréhension devant la chose. Tu ne sais pas vraiment si tu devrais donner ton nom, mais depuis le temps, tu n’as jamais appris à couvrir tes arrières.

« Je suis Aristole et oui, je viens d’arriver. »

Tu laisses un sourire brumeux envahir ton visage : tu ne sais pas trop à quoi tu ressembles dans le reflet de son monde mais tu n’as pas trop de mal à l’imaginer. Tu es sûrement un autre de ces petits caïds qui croient pouvoir dominer le monde et que la société éliminera vite fait d’un revers de main. Lui, à l’air d’un mec que tu aurais pu croiser sur la terrasse d’un café tôt le matin à Paris. Et ça ne te répugne pas, et tu tentes encore de ne pas avoir cette idée lorsque tu le vois devant toi.
Tu n’as cependant aucun doute à savoir que tu as l’air perdu ou l’air de n’appartenir à rien ou encore l’air d’être un ado stupide qui se laisse entraîner dans des combines que tu ne comprends pas ou trop tard.

« C’est quoi le plan ? Trouver un moyen de se venger des mecs comme moi ou de leur apprendre les bonnes manières ? »

Tu l’imagines bien vous verser une poubelle sur le dessus de vos têtes, tard le soir, lorsque, encore, vos yeux sont ouverts lorsque les autres aimeraient les fermer. Tu trouves l’idée charmante.

« Parce que si c’est le cas, je suis ton homme. Tu peux faire une pierre deux coups : me faire la morale en leur faisant la leur. »

Ou bien vous finiriez tous les deux au cœur d’une plus grande affaire, mais quoi ? Tu as sans doute conscience de l’idiotie de la rencontre, du danger dans lequel tu pourrais te mettre ou de la gêne que quiconque aurait ressenti à votre place, sûrement, dans le fond de ton crâne. Mais encore une fois, lui, semble plus intéressant que ta propre survie. Alors, tu te jettes tête la première dans les malices. Tu te demandes s’il allait simplement te dire de te ranger et continuer son chemin, lui, la police dans la nature.