tell me why || lazar

Il s’agit d’une journée de semaine ordinaire, une de ces journées banales qui ne peuvent que se vanter de rythmer la vie de cette paisible ville à défaut de divertir le cœur de ses habitants. Il s’agit d’une de ces journées où tu as pu espérer l’absence d’un professeur, d’un joyeux imprévu pour égayer ces horaires si mornes mais qui, comme d’habitude, ne s’est résumé qu’à une rêverie absurde. Les heures de lycée sont heureusement arrivées à leur terme pour ce jour, étirant tes lèvres alors que tu arpentes gaiement les rues de la cité de Revelstoke ; il n’est guère commun de te voir aussi déterminé à te rendre dans le quartier festif ; il n’est en effet pas fréquent pour toi de consacrer le reste de ton après-midi au Corneille’s Dinner, car, malgré ton attachement pour ce lieu coloré, tu décides plus souvent d’y passer du temps lors de tes congés. L’ambiance toute singulière ainsi que sa musique environnante aident à t’inspirer, à te motiver ces jours où ton jumeau t’ordonne de déguerpir de la chambre.

Et ces temps-ci, autant dire que Lucian a besoin d’une pause de ta présence. Tu n'as pas vraiment le choix dans le fond.

Tes doigts poussent vivement la porte en verre de l’établissement, peut-être un petit peu trop brusquement ; réalisant ta gaffe, tu rattrapes précipitamment la poignée avant que le verre ne se fracasse quelque part – on ne sait jamais. Tu n’as jamais été très doué de toute manière, Felix ; tu peux faire preuve d’une grande agilité lors d’une danse, toutefois dans les situations quotidiennes, tu contrôles assez peu ta force. Tu soupires de soulagement, tentant ensuite de repérer une place pour t’installer convenablement. Car tu fais partie de ces grands enfants qui choisissent minutieusement leur place en fonction de la couleur du siège au lieu de te focaliser intelligemment sur l’emplacement, la lumière ou d’autres critères cruciaux. Le cuir vert d’un fauteuil te séduit immédiatement, s’accordant avec ta chemise fleurie du jour ; la musique actuelle mélange un rock entraînant ainsi que de la pop stimulante et, bien que tu sois un amateur des albums des années 80, tu dois reconnaître que cet air se révèle fort sympathique.

Une fois assis, tu retires ton sac à dos Marvel, sortant aussitôt quelques crayons, deux gommes, des images imprimées de modèles, ainsi qu’un classeur regroupant plusieurs feuilles vierges ; tu les étales méticuleusement sur la table métallique, commençant peu à peu à griffonner quelques esquisses avant d’entreprendre une future mise au propre ; il ne faut pas longtemps avant qu’un serveur n’arrive – ce serveur.

— Ah tiens, salut ! t'exclames-tu.

La discussion se lance à la suite de cette familiarité dont tu as toujours su faire preuve, ce tutoiement naturel que tu as tant de mal à freiner, et ce ton légèrement vexé que tu ne parviens à étouffer dans ta franchise exacerbée.

— Ah… J’espère que je prends pas trop de place avec toutes mes affaires. C’est que la passion, ça demande un minimum de matériel derrière ! déclares-tu en te fendant d'un léger sourire.

Petite pique dénuée de toute subtilité en réponse à l’une de ses remarques passées ; car tu peux être sacrément rancunier lorsque l’on appuie sur l'un de tes points sensibles. Ton public a le droit de ne pas être amateur de tes modestes œuvres, cependant, prétendre qu’elles sont vides d’amour éveille en toi une humeur susceptible presque absurde. Prétendre que les capacités que tu as faites germer depuis ton plus jeune âge, que ce hobby que tu pratiques et qui te permet de te catalyser est destitué de toute forme de passion – cela a le don de te faire tiquer. Tu ignores si tu cherches à lui faire soutirer n’importe quelle forme d’excuse, ou simplement à lui prouver silencieusement qu’il était dans l’erreur.

— Enfin bref ! J’ai vu que vous avez un nouveau burger au menu c’est ça ? Dans ce cas je le prendrais bien avec un milkshake à la fraise, steuplaît ! poursuis-tu sur un ton bien plus poli.

Peut-être que dans le fond, il faudrait mieux que tu ravales cette susceptibilité un petit peu trop prononcée et acceptes aussi bien les critiques que celles sur les réseaux sociaux.

---

Quelque chose a changé et tu le sens.

Tu le sens car tu as toujours été attentif à ces petits détails qui se transmettent autrement que par les simples mots – on raconte que cinquante pourcents de la communication se résument au langage non-verbal. Tu sens ce regard dépourvu de malveillance derrière ce rictus peut-être moins sarcastique que tu le supposais. Gentiment ton expression s’adoucit, gentiment tes muscles se détendent face à l’absence de cette confrontation que tu redoutais. Tu ranges secrètement les armes que tu t’apprêtais à pointer au travers de remarques passives et agressives, car tu juges que désormais toute forme de guerre se révèle être inutile, voire malsaine.

— Ouais t’inquiète. Installe-toi tranquille. Fais tes trucs de scribouilleux.
— Comment ça ?! Non mais respecte-m-
— Attends le nouveau…

Il t’arrête dans ton élan alors que tu te préparais à montrer les crocs et à défendre ton honneur ; tes iris couleur améthyste fixent le jeune homme d’un regard froissé qui dissimule cette pointe d’interrogation. Il marmonne une phrase que tu perçois furtivement sans saisir le sens des syllabes qu’il prononce – tout ce que tu sais, c’est qu’il ne s’agit ni de l’espagnol, ni de l’anglais. Le calme s’empare à nouveau de tes nerfs, apaisant ton humeur particulièrement virulente ; puis la surprise te secoue à l’entente de sa question. Tu ignores ce que sous-entends cette interrogation, Felix, s’il s’agit d’une simple curiosité du métier ou d’une commande implicite – car il faut avouer que tu n’as jamais été réellement perspicace.

— Euh... combien ? tu clignes des yeux à quelques reprises avant de légèrement plisser les yeux et poser ton menton sur ta main accoudée. Ça dépend vraiment, je commence à peine mon petit commerce pour me faire un peu d’argent, donc pas spécialement cher même si plusieurs de mes amis artistes me recommandent de monter les prix pour pas me faire marcher dessus. Mais bon… Les commandes flashs je prends 10-20 balles maximum. Ce sont que les gros projets, comme des bannières en dessin digital ou qui me prennent de longues heures qui reviennent plus chers. expliques-tu en accompagnant tes paroles de quelques gestes désinvoltes.

Tu plantes un regard un peu désabusé dans ses iris bienveillants comme pour chercher à cerner ses intentions incertaines ; défendre ton amour propre n’a aucune valeur à tes yeux, toutefois, celle des artistes si injustement sous-estimés et méprisés, c’est une toute autre histoire.

— Et oui, je dessine toujours d’après un modèle. Cela sonne presque comme une évidence, mais cela ne l’est peut-être pas tant que cela. Je dessine principalement des personnages ou des univers qui existent déjà, et j’ai besoin de la références vu que je suis pas capable de me rappeler de chaque détail. Mais même quand je crée quelque chose de nouveau, j’ai toujours besoin de modèle, comme une posture ou des croquis de mains par exemple. éclaires-tu en imitant des traits de dessin du bout de ton index.

Réalisant être certainement trop bavard pour les modestes questions qu’il a formulées, tu décides qu’il est peut-être tant d’en venir aux conclusions ; tu déposes ton menton désormais sur tes deux mains accoudées, habitude enfantine qui se veut moins aigrie.

— Pourquoi ça ? Ca t’intéresse d’un coup ? Ce serait étonnant tiens haha ! demandes-tu d'une voix plus expressive et moins sèche.

Léger ricanement, imprégné d’un imperceptible soupçon de moquerie, mais surtout d’enthousiasme.

---